Jour 26 : adieu Croco...

Comment imaginer le pire ? Comment imaginer que mes dernières pensées pouvaient être tant prémonitoires ?

La fille de Patrice nous a écrit, à Jean-Philippe et moi ce matin, que Patrice est décédé brutalement dans la soirée d'hier... 

Comment dire sa peine de perdre un ami, qu'on ne connaît pas "en vrai" ? Patrice, je ne le connaissais que par messageries interposées. On a navigué virtuellement ensemble dans deux bateaux différents pendant la Clipper 2013, puis sur le même bateau pendant la dernière VOR. Avec Jean-Philippe, on formait un trio complémentaire, en partageant les quarts selon nos disponibilités, Croco acceptant de "sacrifier" ses week ends (en tous cas, systématiquement, toutes les bascules des week ends). Jean-Philippe et Patrice se sont rencontrés ; moi, je n'ai jamais vu Patrice, je n'ai jamais entendu sa voix, mais j'ai partagé beaucoup des "menues choses de la vie". Des photos, souvenirs de vacances, des "je dois vous laisser le boat, j'ai apéro avec les voisins", des "je me gèle dans mon bureau..." des "- Croco, t'es là ? - silence... - CROCO, FAUT METTRE CAP 223 !!!! - silence... - Ah, désolé, je promenais le chien" et là, on partait dans des fous rires... 

En juin, Croco nous a appris sa promotion : il passait "chef". On était drôlement contents, et moi, je me disais qu'il ferait un "bon chef", sans même connaître son métier (cartographe, je crois). En juillet, il s'est plaint d'un mal au dos, une sciatique qui trainait depuis plusieurs mois. Et puis en août, à quelques jours du départ de la Clipper, le diagnostic est tombé. Quand je l'ai su, je ne voulais plus prendre le départ de la Clipper ; Kaechon camp 14, c'est notre boat à trois. Et Jean-Phi a su me convaincre : on part, et quand Croco sera guéri, il nous rejoindra. Croco était d'accord, et "on" est parti... 

Croco ne nous rejoindra plus. Je pleure un ami réel, d'un monde virtuel. C'est un sentiment étrange. 

J'ignore ce que le récit de cette épopée des Mercenaires deviendra. Pour l'instant, je n'ai plus le goût à naviguer sur Kaechon, ou ailleurs.